Les Mangeurs-
-en cours
À l’origine des Mangeurs, un roman lacunaire, le Satyricon de Pétrone, écrivain contemporain de l’empereur romain
Néron.
Au cœur de cette œuvre, le récit d’un diner chez Trimalchion, un riche affranchi cruel et sot . L’auteur y dépeint sans
complaisance les travers de la société de son époque.
C’est en ce point du roman que naît l’idée d’un repas à l’infini recommencé.
...des visages surgissent d’une pénombre de fond des âges, d’un temps où le langage n’avait pas encore été inventé,
faces primitives privées de parole mais néanmoins hurlantes.
Les regards sont hallucinés, terrifiés par une condition quasi protozoaire qui réduit les corps à une bouche, dotée de
fonctions minimales et vitales : le cri et l’ingestion.
Devant ces affamés, on songe au Saturne dévorant ses enfants de Goya, à Dante, à certaines images de damnés répétant éternellement les mêmes gestes d’automutilation.
...la répétition des têtes, de toile en toile, traduit plastiquement cette bouche infinie, tandis que les fonds sombres et mats
suggèrent une intemporalité.
D’une profondeur insondable, ils renvoient à de noirs instincts, à un inconscient collectif, à une sorte de mémoire génétique de la chair pour ce que les hommes ont été, et seront toujours : des animaux.
Les Mangeurs, c’est nous.
Dominique Dauchy lie irrémédiablement le travail des dents et de la digestion des Mangeurs à celui de la peinture.
Cette dernière obéit à un cycle de dégénérescence et de régénérescence où la destruction conduit à la création d’une
forme différente par le biais d’une opération de raffinage interne, une sorte de mastication obsessionnelle.
Le travail du peintre est vampirique, cannibale, parce que la peinture se nourrit avant tout de peinture.
Extrait de « la chère humaine »
Richard Leydier
rédacteur en chef de la revue artpress